Avec Marie, Pouhiou et Eugène Lawn. Réalisation : Philippe Pitet. Chœur des vierges : les mêmes.
Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui nous écouteras dans quelques secondes, sauf si le nom de domaine de la radio a été suspendu par le Ministère de l'intérieur à notre insu.
Suite à l'attentat contre Charlie Hebdo et profitant d'une émotion mondiale légitime, le gouvernement de François Hollande a fait passer une demande au niveau européen de censure d'internet et qui se passerait de l'arbitrage des juges.
Oui, la fameuse censure qui eu raison de Hara-Kiri Hebdo pour une couverture sans dessin, donnant naissance en 1970 à Charlie Hebdo et qui a continuellement menacé cette publication pendant ses deux vies passées.
Oui, une demande au niveau européen puisque ce dispositif est une atteinte directe à la liberté d'expression, la France ne peut passer une telle loi sans l'accord de Bruxelles. L'occasion est trop belle, car ce décret était prêt depuis un bail et n'attendait qu'un moment opportun pour être passé en catimini.
Les ciseaux numériques d'Anastasie cibleraient tout site terroriste, pédopornographique, de contrefaçon artistique ou industriel, d'information sur le suicide ou la drogue et autres activités probablement illégales ou supposées l'être dans ce fourre-tout à la définition plutôt vague.
J'aurais dit un inventaire à la Prévert, mais tenu par les tortionnaires de Franz Kafka.
Le dispositif est simple : si on accède à certains noms de domaines, l'utilisateur sera renvoyé vers une page hébergée par le Ministère de l'Intéreur expliquant que ledit site est bloqué. Et tant qu'on y est puisqu'on y a renvoyé l'internaute, on l'aura automatiquement fiché.
Un problème technique tient au cœur du dispositif : ce sont des noms de domaines qui sont ciblés. Techniquement, cela marche relativement bien tant qu'on y accède sans avoir touché à ses réglages DNS.
Un DNS (Domain Name System) transforme le nom d'un site, par exemple mon blog dascritch.net
, en un numéro d'adresse qui permette de le joindre, 178.33.141.37
tant qu'il n'est pas bloqué pour apologie du pédoterrorisme contrefait.
Il peut aussi être mis en place par un dispositif de type Proxy pour interdire certains noms de domaines, solution employé dans de nombreuses entreprises et administrations scientifiquement appelé « Proxy à la con », c'est en dire la fiabilité.
Mais si jamais j'utilise un autre DNS que celui fourni par mon fournisseur d'accès internet, ou que j'utilise un VPN qui me permette de regarder en streaming des émissions d'un autre pays, ou encore que ledit site soit en mode https
comme n'importe quel site bancaire ou d'e-commerce, et bien j'aurais aisément contourné la censure du Ministère. Et la manipulation est si triviale qu'elle en montre à la fois sa totale inefficacité et sa dangerosité pour la liberté d'expression.
Pendant ce temps-là, les sites suspendus seront reproduits, encore reproduits, de plus en plus vite, et se distribueront par CD rom, par clés USB, en impression papier,… sans strictement aucun moyen de contrôle. C'est déjà le cas pour les prêches extrémistes.
De bien piètres mesures, aussi dérisoires qu'un cache-sexe sur un dessin de Charb : On imagine très bien ce qu'il y a derrière, et si on veut quand même voir, c'est tellement facile à contourner.
Autre souci, c'est que des sites pourront être suspendus sans aucun moyen d'information ou de recours alors que seules certaines pages litigieuses pourraient poser problème.
Du côté des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, la situation est très difficile. Étant par nature à échelle mondiale, ils doivent ménager la chèvre et le chou.
Comment autoriser la censure et dans quel cas ? Comment expliquer qu'un pays n'a pas le droit de censurer au niveau mondial car il est moins démocratique qu'un autre ?
Ainsi Twitter ne suspend un compte que sur signalement. Google déréférence des sites sur demande juridique, des demandes principalement liées à des revendication de droits d'auteurs, mais Google publie toutes les demandes sur le site chillingeffects.org.
Facebook a une politique plus pro-active, censurant de sa propre initiative le moindre nu féminin. Il se trouve que cette position ambiguë, Mark Zuckerberg se l'est prise dans la tronche dans son message de soutient à Charlie Hebo : il raconte que maintes fois il s'est pris des menaces pour laisser passer des caricatures de Mahomet. Premier commentaire juste en dessous, le célèbre tableau de Gustave Courbet, « L'origine du monde », maintes fois censurée sur son réseau social. Dommage, camarade.
Apple refuse des applications sur le principe de leur contenu, il bloque aussi certaines recherches à partir d'un Mac. Voilà pourquoi malgré de nombreuses tentatives, Charlie Hebdo n'a jamais pu avoir son application rendue disponible sur iPhone. Pourtant, Apple a affiché fort hypocritement un je suis Charlie
de fort mauvais aloi.
Oui, Apple et Facebook se montre de zélés censeurs, appliquant au monde entier une morale américaine non-dite mais religieusement prude. Twitter, Google, Microsoft se montrent plus permissifs, proposant un mode « vous êtes adultes, tant pis pour vous si ça vous choque », mais il faut changer un paramètre. Encore un cache-sexe.
Combien de temps nous laisseront-ils exposer les fameux tétons de nibards féminins qui font tant hurler l'Amérique ?
Oui, je précise féminins
parce que les tétons masculins ne les gênent pas, peut-être parce que vestigiaux… Il suffit de voir des affiches de Rambo, films prônant une violence gratuite et exacerbé mais moralement tellement plus acceptables qu'un corps nu…
Seulement comme la censure ne suffira pas, le même décret prévoit de renforcer la surveillance globale automatisée de la population française.
Alors je me demande très sincèrement à quoi peut servir la surveillance globale, sinon à intimider. Puisque les personnes qui ont commis ces ignobles actes de terreurs étaient parfaitement connus des Services de Police. Il étaient même fichés comme dangereux par les Renseignements Généraux et interdits de voyage en avion. Comme Mehdi Nemmouche en 2012, comme Mohamed Merah en 2011, comme plein d'autres meurtriers avant leur passage à l'acte.
En quoi la surveillance globale aurait-elle pu aider, sinon qu'à confirmer ce que les Services de Police savaient déjà ? Son utilité s'y montre dérisoire, à se demander à quoi servent les Hommes du Président. Par contre, elle va considérablement augmenter le nombre d'individus suspects, et surtout le nombre de faux positifs. Une situation qui n'est pas digne d'une Démocratie, mais d'un état policier pervers : s'il n'y a pas assez de coupables potentiels, autant décréter toute la population comme coupable.
Alors notre Premier Ministre propose des lois spéciales interdisant l'apologie au terrorisme sur les réseaux sociaux. Loi complètement inutile puisque ce délit est déjà réprimé, que cela soit sur internet ou en public, et passible de 7 ans de prison. Une fois de plus, depuis 15 ans, c'est internet le fautif, fantasmatique source de tous les maux. Innocentant donc le chômage do masse, avec 50% des jeunes de moins 25 ans dans les banlieues abandonnées, l'éducation nationale en ruine, l'intégration loupée des populations étrangères, l'encadrement rouillé dans les prisons. Et justement, c'est en prison que les assassins se sont radicalisés, pas devant instagram ou marmiton.com, mais en lisant un œuvre de fiction religieuse en papier. Notre gouvernement va taper totalement à côté de la plaque, croyant résorber en attaquant les symptômes mais laissant s’aggraver les vrais maux. Le porteur de mauvaises nouvelles sera donc fusillé, au lieu de faire en sorte que nos problèmes soient résolus.
Dois-je rappeler mon éditorial qui a ouvert l'émission de Mercredi dernier, moins de 7 heures après le massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo ? Le terrorisme veut détruire la société démocratique en imposant une autocensure, des lois d'exceptions, un régime de terreur. Malheureusement, je ne peux que constater que le pouvoir exécutif de notre pays a cédé à ce jeu mortel.
Quitte à avoir invité une cinquantaine de dirigeants étrangers Dimanche dernier, j'aurais aimé que M. Le Président de la République rappelle au roi Abdullah de Jordanie qu'il a condamné un journaliste palestinien à 15 ans de travaux forcés, au Premier Ministre Turc Davutoglu qu'il emprisonne plus de journalistes que tout autre pays au monde, au Premier Ministre Israélien Netanyahu qu'il a fait tuer 7 journalistes en 2014, au Ministre des Affaires Étrangères Égyptien Shoukry qu'il emprisonne depuis 500 jours un photographe, au Ministre des Affaires Étrangères Russe Lavrov qu'il emprisonne un journaliste pour « insulte envers un haut fonctionnaire », à l'ambassadeur d'Arabie Saoudite que son pays vient de condamner le blogueur Raif Badawai à 1000 coups de fouets pour blasphème et à tant d'autres leurs répressions violentes envers des journalistes et blogueurs, et que donc, leur présence à cette manifestation devrait s'accompagner de vraies lois garantissant la Liberté d'Expression. La symbolique aurait été gigantesque, mais non, l'occasion fut lamentablement perdue et comme l'écrit Mediapart, ce fut le bal des affreux
présents pour se refaire une virginité.
À cette vitesse, certains hommes politiques ne devraient pas s'inquiéter que la France devienne Islamiste, mais qu'internet y devienne aussi filtré qu'en Chine.
Enfant du futur immédiat, il est quand même infiniment triste que le pouvoir exécutif profite d'un drame qui touche à la liberté d'expression, d'information et de blasphème pour la blesser d'autant plus.
« Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ». dit Figaro… La suite de pièces de Beaumarchais annoncèrent les prémices de la Révolution Française.