Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui ne comprends pas ce crissement aigu qu'on entend dans le générique de toute émission causant d'internet sur les grands médias.
Il fut un temps où les sites webs étaient façonnés par de vaillants expérimentateurs héroïques. Et pour cause : les navigateurs web n'en faisaient qu'à leur tête, ignorant le W3C qui n'était qu'un obscur comité aux normalisations pénibles. Il fallait innover le plus possible pour occuper le terrain avec des technologies que les constructeurs pourraient breveter : les <layer>
s chez Netscape, le vml chez Microsoft.
Construire un site web passait aussi par la quête d'un hébergeur (TA TA TA TAAAAAA jingle de zelda) parce que s'auto-héberger était extrêmement compliqué et même impensable avec le débit des modems.
Étonnement, à côté des universitaires, d'amateurs éclairés et des entreprises qui construisaient leur présence sur la toile pour y faire genre que on est super novateurs.... On y trouvait une faune non-négligeable d'artistes multimédias qui expérimentaient une nouvelle manière de créer, de vivre une installation artistique et de la diffuser.
Sauf que les technologies web étaient jeunes, lacunaires dans plusieurs domaines, ce qui a poussé à l'utilisation de Real Player, Quicktime, Java et Flash, des technologies principalement prévues pour les CD Rom interactifs et adaptées… tant bien que mal pour le web. De nos jour, ces pièces rapportées sont désormais abandonnées, le HTML a très fortement évolué.
Et bien évidemment tout ce qui est purement matériel est définitivement obsolète.
Enfant du Futur Immédiat, pour cette release, nous voulions reparler de cette époque des pionniers. Il se trouve qu'en Décembre nous fêterons les 35 ans de notre radio hôte, et que son site web a la vingtaine.
Pour l'occasion, notre programme fait partie d'une performance. Nous nous sommes installés dans un espace culturel, le Lieu Commun, qui à l'occasion du festival Printemps de Septembre, a mis en place une exposition Bleu Bleu
, qui est un hommage à l'atmosphère artistique underground de la ville de Toulouse dans les années 1990s. Présentement, nous utilisons une reconstitution d'un studio radio associatif des années 1990s tel que nous, à Radio <FMR>, avions pu utiliser à cette époque hautement héroïque.
À ce moment-là, les lignes de diffusion étaient analogiques et surtout sans retard, les jingles étaient sur cassette, les tables de mixages avaient leurs parasites et bruits de masses et si les platines CD étaient autostartées, on les démarrait souvent à coup de pied (et j'exagère à peine).
Bref, pour moi, cette heure-ci s'annonce certes pénible mais surtout une vraie madeleine de Proust.
À peu près autant que le petit milliers de flyers de soirées de cette fin de millénaire que je conserve précieusement. Des créations numériques qu'on apportait chez l'imprimeur sur disquettes, sur cartouches SyQuest, sur CD gravés, à chaque fois pour se rendre compte qu'on est pas exactement au bon format pour l'imprimeur, ou qu'il n'a pas le bon lecteur de documents. Vous le saviez, vous qu'un Zip 100Mo formaté sur Mac est illisible sur Windows ?
Ben figurez-vous qu'à l'époque, un site web c'était pareil : on le construisait chez soi, et on l'amenait sur disquettes chez le pote qui avait l'accès pour le placer sur le serveur. Une semaine après, on se rendait compte que cela ne passait pas du tout chez la voisine d'à côté.
Archaïque, hein ? Eh ben ça prouve définitivement que je ne suis absolument pas pressé de revenir à cette époque, malgré tous les bons souvenirs que j'ai pu y avoir !
Là, tu dois te demander pourquoi nous parlons de choses vieilles et limites utilisables. Figure-toi qu'il y a plusieurs enseignements à en tirer :
- Toutes les difficultés de maintenance du retro-computing et retro-gaming, thèmes sur lesquels nous reviendrons plus d'une fois au cours de cette année ;
- Ensuite, ce qu'était le web avant les standards ;
- Ce que les standards proposent aussi, c'est de garantir qu'un site restera fonctionnel, mais qu'il perdra son contexte dans les décennies à venir ;
- Et enfin, ce que défricher une technologie innovante de communication veut dire.
Bref, il a des choses à apprendre : celles que l'on est en train de perdre irrémédiablement. Oui, comme la municipalité de Toulouse a gommé d'une couleur rose tarte les superbes graf muraux d'artistes désormais courus internationalement (Fafi, Miss Van, Kat, Tilt et toute la Truskool), ou encore les excellentes chroniques artistiques de Greg Lamazières sur Télé Toulouse. Alors nous avons vécu des choses formidables, mais c'est à nous de créer les prochaines, sinon nous stagnerons dans une nostalgie stérile.
Enfant du Futur Immédiat, certes, des technologies disparaissent et les contenus qui vont avec, c'est la vie,... Mais plutôt que te faire le coup du « c'était mieux avant », on veut plutôt te raconter de belles histoires qui te donne aussi envie d'expérimenter, et de mieux apprécier ce qui est créé de nos jours.