Bonjour à toi, enfant du futur immédiat, toi qui n'a peut-être pas eu la chance de découvrir la clarté quand tu as ouvert tes yeux sur le monde.
De nos sens, celui qui semble le plus essentiel à la majorité des humains, est la vue. La vision permet de percevoir notre environnement lointain, même au-delà de notre atmosphère. C'est notre sens le plus exact, au sens qu'un événement distant observé est précisément orienté et à peu près placé dans l'espace.
Perdre ou manquer l'usage de ses yeux pose un sacré handicap pour percevoir le monde, plus que la perte de la sensation du goût sucré ou de l'ironie.
Alors oui, récemment, nous avons fait une émission sur les couleurs. Aujourd'hui, pas de couleurs, ni de noir et blanc. Rien. Zilch. Nada. Pendant une heure , tu n'auras que du son, de la radio pure.
L'ingéniosité de notre cerveau l'amène à développer les autres sens pour compenser l'absence de la vue. Les aveugles peuvent être des super-héros. Non, je ne pense pas forcément à Daredevil, rien n'est moins sexy que Matt Damon Ben Affleck obligé de cachetonner sur grand écran dans un nanar histoire de payer ses impôts... Bon, allez, je reconnais que la série actuelle m'a tapé dans l'œil, mais revenons à nos non-voyants.
Le pouvoir le plus intéressant que développent par la force des choses les personnes malvoyantes est dans la concentration : les technologies assistives qu'on leur a créé sont imparfaites pour donner une vision globale d'un écran, ils avancent donc à tâtons (désolé) pour découvrir chaque élément affiché. Leur compréhension de l'ensemble passe par leur capacité à construire une image mentale de l'environnement.
Comme la moitié du chemin était fait par les utilisateurs improprement dits déficients
, les technologies pouvaient leur proposer des alternatives viables : l'écran à aiguilles Braille et la synthèse vocale.
Mais alors il n'y a pas de vision globale ou géométrique, il fallait que ces interfaces dictent une priorisation des contenus aux programmes qui étaient d'abord prévus pour une interface graphique.
Et croyez-moi que devoir repenser une interface graphique en terme de priorisation plutôt qu'en esthétique n'est pas simple. Pourtant, il y a un réel gain à faire ce travail : il permet de se poser et de songer à l'essentiel et à être clairement explicite, jusque dans les termes utilisés.
Enfant du futur immédiat, les concepteurs d'interface travaillent souvent dans le noir, jusqu'à ce qu'ils réfléchissent à ne pas voir le résultat, mais à songer à le rendre accessible. Car oui, le paradoxe est qu'il ne faut jamais perdre de vue que le handicap peut aussi être une chance pour tous. On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux…*
* « Le petit prince », Antoine de Saint-Exupéry