Sud Web édition 2012

Ce billet fait partie de la série des emoji dans l'Unicode et a été proposé comme sujet candidat à Sud-Web 2012 :

Bonus

Nous avons vu les raisons sociétales qui ont mené à la création des émoticons au Japon, mais surtout à leur immense popularité auprès du public. Maintenant, il faudrait parler des opérateurs, qui ont décidé pour les fabricants de téléphones portables. Et de là, on pourra peut-être comprendre pourquoi leur arrivée dans l'Unicode était prévisible.

Les raisons de leur adoption technique sont simples :

Un emoji est un moyen d'uniformiser l'aspect User-Interface d'un téléphone

et donc de l'univers mobile web d'un opérateur.

De plus, le dessin d'un emoji chez un opérateur peut changer selon le modèle de téléphone afin de coller à la “personnalité” donnée à ce téléphone : qu'il soit à destination des jeunes femmes, des cadres ou a une thématique Star Wars ou Doraemon, vous aurez l'affichage de l'écran (consultation des e-mails, paramétrages, notes, web) qui aura toujours cette consistance.
Icône d'agenda dans le look Disney mobile Le MVNO Disney Mobile thème ainsi complètement l'interface de leurs mobile jusqu'à la forme des touches (lien à ne pas suivre si vous êtes sujet au diabète).

Les développeurs et designers d'applications web sont continuellement ballottés entre un design totalement original et celui imposé par le GUI de l'ordinateur hôte du navigateur. Cela se ressent sur des éléments comme la barre de défilement, les boutons radios, les checkbox, etc… Régulièrement, des modifications “artistiques” heurtent le paradigme de l'environnement, et donc déstabilisent l'utilisateur.

Maintenant, imaginez que pour des boutons d'opérations, vous ayez la possibilité d'avoir à peu près le même rendu, la même grammaire symbolique que le reste de l'interface du système d'exploitation. Je vous ressers cet exemple archi-classique des deux boutons d'action :

 

Combien de fois par jour y êtes-vous confronté ? Entre les messages de votre système, de votre client e-mail, ceux de votre éventuel anti-virus, et bien sûr de tous les sites internet ? C'est dans ce dernier cas où on en a un tel foisonnement de formes, couleurs, aspects, mots qu'on risque le plus de s'y planter.
Si on a une constance d'aspect sur les boutons “dangereux” entre sites et applications, c'est autant de gagné pour l'usager de vos appliances web complexes, non ?
Le contre-argument, ce sont les tentatives de phishing. Qui peut croire une fenêtre dans le style Windows XP playschool vous alertant d'un virus quand il utilise Linux/Mac/Smartphone ?

Un emoji est aussi synonyme d'économie de bande-passante

Plutôt qu'appeler une IRI pour une imagette, l'emoji est une référence à une image embarquée dans la ROM du téléphone. Sa référence dans le HTML/XML était réduite à un nombre minimal d'octets (entre 2 et 16). Une entité XML pour le i-mode de DoCoMo, le mode de contrôle ASCII «page alternative» pour le J-Phone/SoftBank aka Ctrl+N et Ctrl+O pour revenir aux caractères normaux (SO et SI, les dinos Franchouillards se rappellent que ce sont les mêmes codes pour la page semi-graphique de notre Minitel national, ha !) et une balise XML spéciale pour EZ-web de au.

Exemple de requêtes HTTP sur cette page dus aux illustrations d'emoji Cette économie d'appel à une ressource externe, c'est une requête HTTP en moins, des requêtes réseaux épargnées, donc de la réactivité en plus pour le gizmo. Pour mémoire, jusqu'en 2007, la majorité des navigateurs ne pouvaient effectuer plus de deux requêtes HTTP simultanées. Et dans le cas de l'embarqué, pour limiter la consommation mémoire, ces requêtes simultanées sont souvent réduites à… une !

Dans le web normal, il existe une méthode d'optimisation pour l'intégration, le sprite-tiling, qui consiste à grouper tous les éléments graphiques d'habillage en une seule image, et d'en jouer avec des propriétés CSS. En soit, c'est une méthode qui est très proche de la gestion des décors sur les consoles de jeu des années 1980s-1990s. Si cette méthode n'est plus trop d'actualité, elle fut très à la mode en 2006. Mais elle n'était possible que par un excellent support des propriétés CSS, ce qui n'existait absolument pas en 2000.

N'oublions pas aussi que les mobiles japonais tournaient à 9600 bauds en 2000, ce qui était pratiquement le top à l'époque, et les données étaient facturées au débit. Ce dernier point aurait pu jouer contre les emoji, mais c'est un pays où la plupart des entreprises jouent énormément sur la satisfaction client.

Ça m'a fait bizarre d'écrire tout ça deux semaines après l'arrivée de Free Mobile ^^;

Un emoji est un dessin bitmap

Ce qui veut dire une seule et une unique taille de police d'écran, à moins de faire autant de tailles d'emoji que nécessaire. L'autre problème, c'est que ces charmants petits dessins sont colorés en diable.

Leur taille d'affichage varie entre 12×12 et 15×15, à peu près la dimension d'un kanji.

Heureusement grâce au progrès des bibliothèques de rendus, on peut désormais utiliser non seulement une police vectorielle sur un smartphone, mais aussi utiliser des couleurs et des dégradés complexes. C'est ce que fait Apple, et ces bibliothèques sont aussi disponibles sur les ordinateurs conventionnels car OS X Lion (sorti le 20 Juillet 2011) une gestion graphique des emoji

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Les emoji par Apple, capture typefacts.com

Récemment Simon Daniels a félicité Apple et Google pour cette avancée. Joli coup de chapeau de la part du programmeur en chef chargé du rendu des polices sous Windows, qui est le… dernier OS à ne pas avoir cette possibilité.

Il reste néanmoins la question de l'application d'un style sur un emoji : Les teintes de couleurs doivent-elles s'appliquer ? Qu'arrive-t-il si la bibliothèque de rendu de texte fait du faux-gras ou du faux-italique. Théoriquement, faut pas, mais gare aux faux-frères…

Je pense que c'est pour résoudre ces questions que les emoji insérés dans le standard Unicode comporte deux adresses distincts : une monochrome, conventionnelle, et une colorée, voire animable pour la version trop kawaiiiiiii.

Un emoji peut parfois être animé

Du moins, chez les opérateurs SoftBank et KDDI.

Saignement d'yeux garanti , par exemple, le logo de J-Phone (devenu SoftBank) en 3 emoji : JPhone

Là, c'est amusant, mais le consortium Unicode a finalement jeté l'éponge.

Un emoji est un design déposé

Vous noterez que certains symboles sont propres aux opérateurs. Les trois opérateurs se sont néanmoins copiés, ou plus ou moins inspirés, en évitant de se prendre des procès respectifs. C'est ainsi qu'on retrouve un smiley reprenant le Cri d'Edvard Munch ! Mais le problème reste :
Emoji, ça pue, çay pas libre…

Cela reste un immense problème quand on conçoit un standard : Que celui-ci ne repose pas sur un brevet, un design déposé ou tout autre limitation juridique, sinon le standard ne sera jamais largement adopté. Si c'est le cas, il faut obtenir l'assurance que l'intégration dans le standard entraîne une renonciation pour tout usage du standard, ou une licence libérée.

Déjà que trop de choses sont cadenassables par la joie des brevets logiciels, manquerait plus que les émoticônes le soient. Ah ben ils le sont

つづく , comme ils écrivent « à suivre »

Prochain épisode :  4 Chacun a sa manière

Comme si ce n'était pas suffisamment compliqué à faire accepter tout ça pour un organisme de standardisation. Et là, je vous promets de grands moments de solitude…