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Ce billet est dans le cycle « La Psychanalyse du Clavier ». Cliquez ici pour lire l'intro et les autres billets publiés.

Après ←une←parenthèse←fléchée← et puisqu'au moment de la publication de ce billet, il est exactement Unix Time 1234567890 (et vu que c'est la St Valentin, bises à toi, mon amour), reprenons nos chers chiffres et intéressons-nous à une bizarrerie de l'Évolution : pourquoi le clavier numérique d'un ordinateur est inversé par rapport à celui d'un téléphone ?

Au début des années 1960s, quand les hommes étaient des vrais hommes et les ordinateurs de vraies grosses armoires dans des salles immenses qu'on programmait en Cobol, pour appeler quelqu'un au téléphone, il fallait décrocher le combiné et tourner un cadran. Derrière cette mécanique qu'on actionnait de sa maison, s'en cachait une largement plus complexe : Tous les appels téléphoniques étaient routés par des centraux électro-mécaniques extrêmement lourds, bruyants, difficiles à maintenir, cauchemardesques à étendre. C'était un jeu de plateaux, de relais électro-mécaniques, qui avaient besoin d'être graissés pour ne pas rouiller, qui s'empoussiéraient à cause de la graisse, qui devaient être dégraissés et regraissés. Bref, des machines infernales qui avaient besoin d'une vraie petite armée pour être maintenues en état de marche dans leur continuel fracas assourdissant.

AT&T, le monopole local de la téléphonie, se tourna vers ses ingénieurs R&D des Bell Labs. La problématique était simple : passer à un routage électronique, plus simple à maintenir, plus simple à agrandir, plus rapide et efficace et surtout pouvant permettre de créer de nouveaux palliers de facturation.
Les-dits chercheurs firent en sorte de se passer des impulsions quand l'usager le client numérote sur son combiné et créèrent un système de télécommande à base de sons. Ce sont les fameuses tonalités DTMF. En dehors de la composition de numéros par l'abonné, elles permirent aux centraux téléphoniques de discuter en eux (L'abonné demandé est occupé), de donner des informations de facturation (Cette cabine a déjà payé au moins 25$), d'imaginer de nouvelles fonctions (dupliquer cet appel vers nos copains de la NSA), ou de se faire des blagues (passez-moi l'opératrice).

Dial “0” for Operator

Afin de ne pas dérouter les futurs utilisateurs de téléphones à touches, les chercheurs de Bell Labs avaient conçu leur prototype de clavier pour téléphone comme suit :

1 2 3
4 5 6
7 8 9
? 0 ?

(pour les touches notées “?”, c'est parce qu'on a une idée derrière la tête, mais faudra leur trouver un symbole)

Tout simplement parce que sur les cadrans classiques au repos, le 1 était sur la partie haute et le 0 en bas. Que le pavé 3×4 était le meilleur compromis en occupation d'espace. Et qu'après, ils ont suivi le sens de lecture de n'importe quelle langue occidentale.


(Crédits photos : pagesperso-orange.fr/teludo)

Par bonne conscience, et avant de graver dans le marbre cette disposition en allant présenter leur invention au Grand Patron, les chercheurs se sont demandés par quel raisonnement tous ces constructeurs de tabulatrices, additionneuses mécaniques et terminaux d'ordinateurs avaient créé leur pavé numérique et si l'autre disposition évitait les erreurs de frappe. Après tout, ils utilisent presque tous la même disposition :

7 8 9
4 5 6
1 2 3
0 00 .

... et le but de l'invention sur laquelle il travaillent est de rapprocher le téléphone de l'informatique. Donc ils ont appelé les fabriquants (avec leur prototype) pour leur demander s'ils avaient mené une étude ergonomique.
Surprise : non.
Il n'y avait aucune raison pour laquelle les constructeurs de tous ces appareils aient choisi de mettre le 1 en bas à gauche et le 9 en haut à droite (On a même vu précédemment que c'était empirique). Leur curiosité ayant toujours soif de réponse, les Ingénieurs de la Téléphonie conduisirent une série de tests avec des utilisateurs lambda (qu'on évitait soigneusement de désigner sous le terme de “cobayes” en leur présence, au contraire des souris, ça les vexe) avec les deux layout.
Re-surprise : la disposition qui venait d'être crééé par ces ingénieurs était moins sujette à erreurs que celle des calculatrices.

Par son prix relativement modique (mais néanmoins d'une location surfacturé par rapport au classique tourniquet), le clavier téléphonique fit une entrée fracassante dans les foyers.
En plus de composer nettement plus vite qu'avec un cadran le numéro de téléphone de Tata Gertrude à Villefranche-de-Rouergue, le client de la Compagnie Unique de Téléphone découvrait avec ses oreilles émerveillées que ces touches toutes neuves transformait son téléphone en orgue électronique.
Si ! Si ! J'avoue : Comme les Bidochons avec leur orgue Bontempi, j'ai joué à la sirène des ambulances. Pas vous ?

Pavé numérique et flèches directionnelles se croisent

Quand en 1982, par une idée bizarre, les constructeurs de consoles de jeux familiales mirent des touches supplémentaires sur leurs joysticks, les designers de la ColecoVision et de l'Atari 5200 trouvèrent plus futuristes d'y mettre un pavé numérique identique à celui des claviers de téléphones plutôt que des claviers d'ordinateurs. La coïncidence (?) est d'autant plus marrante que ces concurrents qui ne pouvaient se sentir eurent l'idée simultanément. Ce fut aussi la première trace de la co-existence pacifique des touches directionnelles et du pavé numérique.
Bon, ok, si on fait l'analogie joystick = flèches

Ces touches téléphoniques furent généralement boudées par les développeurs de jeu sur les deux consoles. Peut-être hantés par le cauchemar de « E.T. the Extra-Terrestrial »

20 ans plus tard, le mobile du crime

Le croisement suivant entre la micro-informatique et le téléphone eu lieue quand justement les téléphones portables devinrent de vrais nano-ordinateurs. Tant que les écrans n'affichaient que 12 caractères (et des pictos forgés dans le circuit LCD), il était peu utile de mettre des touches directionnelles. Quand on passat à 2, 3 puis 4 lignes, il devenait intéressant pour naviguer dans l'interface d'avoir les touches et .
Sony ne pu s'empêcher de caser dans son modèle J5 ce qui est sa marque de fabrique dans ses gizmos : le Jog Dial™ (une molette cliquable) aux fonctionnalités identiques. Néanmoins ce chouette machin qu'on retrouve aussi dans les Clié (je parle des défunts compatibles Palm), les appareils photos et les MiniDisc avait l'inconvénient d'être un mécanisme pas toujours fiable et laissant entrer la poussière et l'humidité. Pas pratique pour un gizmo.

La fin des interfaces de caractères à taille fixe, l'arrivée d'interfaces graphiques digne de ce nom et le décollage du WAP 2 furent les mobiles (NB : humour) de l'insertion des touches et pour compléter le tableau clavier des téléphones portables. Bien souvent, celles-ci se groupèrent avec leurs copines ainées en croix directionnelles, avec un bouton central ↵OK. Une différence importante par rapport aux joypads des consoles de jeux (et de la croix directionnelle © Nintendo) C'est devenu le standard pour tous les téléphones mobiles.

Pendant-ce-temps, l'informatique entra à son tour dans les familles et la co-existence du pavé numérique et des touches fléchées mènera à l'apparition d'une touche bascule, ➀Num.Lock. Là-aussi, le portable mis sa zone.