Supplément Week-End, le magazine des cultures geeks Notes de direct pour l'émission « Supplément Week-End » du Samedi 24 Octobre 2009.

Jirō et Kyōko ont tous les deux vingt ans... et à peine plus. Ils vivent tous les deux dans un modeste studio de 8 tatamis... et à peine plus. Leurs meubles se limitent à un bureau, un futon et une guitare ... et à peine plus. Leurs revenus sont le salaire de Kyōko en tant qu'ocha-lady dans une petite agence de publicité et les quelques travaux d'illustrateur freelance de Jirō ... et à peine moins. Leurs économies tiennent parfois d'un unique billet de banque.

Bref, dans ce Japon qui a su redresser la tête après la Seconde Guerre Mondiale, et qui a su profiter à fond du boom économique des années 1960s, Jirō et Kyōko sont deux jeunes adultes qui tentent de se faire une place, et dont les difficultés économiques sont compensés par leur amour.

On est au début des années 1970s, et contrairement aux pays Occidentaux qui sont en pleine libéralisation des mœurs, le poids des traditions et de la cellule familiale est très très fort. Un couple de jeunes qui vivent sous le même toit sans être mariés, ça n'est pas possible, pas normal, pas sain. Et cette ambiance va peser sur le couple : Kyōko va très vite montrer des pensées morbides, suicidaires, car elle est partagée entre son amour pour Jirō, et la pression que lui met sa famille pour le quitter immédiatement.
Peut importe si elle a un emploi stable dans une agence de publicité : la jeunesse n'a pas le droit d'être affranchie comme ça, et chaque génération doit perpétuer rigidement les traditions.

Jirō et Kyōko s'aiment, ils se déchirent, se trompent, se détestent, mais restent amoureux l'un de l'autre. C'est une chronique d'une jeunesse condamnée à rentrer dans le moule alors que le premier Summer Of Love irradie en Europe et en Amérique après Mai 1968. Un véritable témoignage sur le Japon qui concile difficilement tradition, Occident et libéralisme. Et ceci alors que le voisinage bien-pensant de Jirō et Kyōko n'en est pas à une contradiction près : des vicieux qui pelotent en douce dans les transports public, des coucheries consanguines, incestueuses. Le patron de Kyōko qui la présente à sa mère mourante comme étant sa future femme. Jirō fait la connaissance d'un gamin mais ignore que celui-ci a fermement prévu de se suicider. La situation du couple est mise à l'index par une société qui est en profond mal-être.

La lecture est édifiante, glaçante, laisse plus d'une fois un frisson dans le dos...

Chaque tome est un vrai pavé : 700 pages. Chaque planche transpire la virtuosité de l'artiste, mais aussi ses tourments personnels.
Montrer des silhouettes derrière un fleuve illuminé par le soleil couchant, tracer un feuillage en quelques coups de pinceaux, dessiner un champ de fleurs par une nuit de pleine lune, la palette d'effets graphiques est proprement hallucinante. Et pourtant, « Lorsque nous vivons ensemble » n'était que le début de la carrière fulgurante de Kazuo Kamimura. L'année suivante, il abreuvera de son encre « Le fleuve Shinano » pour ensuite peindre les terribles vengeances de « Lady Snowblood », adaptée en 1973 au cinéma, film qui inspirera « Kill Bill » à un certain Tarantino.

Chaque album est une véritable bible de l'Art Séquentiel. Quel immense perte que son auteur soit mort à 46 ans, alors qu'il était au sommet de sa carrière. Kana fait ici un travail d'édition d'un classique.

À noter en début du tome 2 une introduction de Jirō Taniguchi, qui a été assistant de Kazuo Kamimura pendant 6 mois.