Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui programme déjà ton futur.
Il fut une époque où l'Informaticien, comme on disait à l'époque, était noble, considéré avec admiration et crainte, surtout quand il travaillait sur un ordinateur IBM. Celui dans la fameuse pièce fermée à clé au fond du couloir de l'étage de la direction, la seule pièce du bâtiment à avoir la climatisation. Seul l'ingénieur informaticien avait le droit de discuter avec l'ordinateur. Oui, l'ingénieur informaticien était vu comme un magicien, et peu de personnes n'osaient argumenter avec lui, à part le directeur financier.
C'était il y a 40 ans. De nos jours, je vois souvent des gens qui ne sont plus illuminés par leur passion dans l'informatique, moins heureux, un peu déprimés voire parfois broyant du noir...
(je ne dis pas ça contre notre invité)
Qu'est-ce qui s'est passé en vingt ans ? Une réelle dégradation du statut de l'ingénieur informaticien, voire un mépris. Le métier s'est popularisé par le fait qu'il y a plus d'informaticiens sur le marché et une très forte réduction des tarifs horaires. Les métiers se sont aussi segmentés entre les développeurs, architectes, spécialistes en base de données, administrateurs systèmes et j'en passe. Puis sont entrées dans la danse des prestataires comme les agences d'intérim et les SSII.
Paradoxalement, nous n'avons jamais autant eu besoin de connaissances pour concevoir des logiciels informatiques, mais ces connaissances sont moins valorisées. Et nos métiers se sont complexifiés. Plus le temps avance, moins il est rapide d'écrire la première ligne de code d'un projet avec tous les outils à mettre en place : Versionning, gestionnaires de paquets, frameworks, pre-processing, makefile, IDE, design patterns, ORM, documentation inline, système de déploiements, tests.
Avant de taper la première ligne de code utile, vous hurlez dans votre tête « JUST LET ME CODE ! »
Tous ces outils se justifient totalement, surtout dans une démarche de qualité produit. Mais nous arrivons de plus en plus à une frustration du développeur. « Le développement logiciel est principalement devenu une activité opérationnelle, plutôt qu'une activité créative. » résumait Andrew Binstock après son cri de frustration.
Car oui, cela peut surprendre, mais à bien regarder, les développeurs exercent avant tout une activité artistique plus que mathématique. Et cette frustration est alimentée par la masse de nouvelles technologies à maîtriser de plus en plus vite. Certaines personnes de mon entourage commencent à se décourager. D'où des compétences qui se perdent, un regard latéral qui va manquer pour sortir un projet de l'ornière, une culture restreinte par des blocages.
Quand je reprend des bouts de code et que je sens en le lisant qu'un code semble avoir été écrit dans un état de dépression. À croire que le code source peut aussi être vecteur d'émotions.
Cela explique aussi le succès (relatif) des coding dojo, des code & coffee, des code retreat, des hacking contests, des langages supposés légers
comme NodeJS : revenir au fondamental, coder pour le plaisir.
Encore plus paradoxalement, l'informatique s'est popularisé, les projets sont devenus possibles pour les PME, les utilisateurs et les donneurs d'ordres ont émis des avis. Ou plus exactement, le management a commencé à intervenir pendant les définitions de projets, allant jusqu'à intervenir dans les choix technologiques.
J'ai vécu des exemples qui auraient pu ressembler à de mauvais rêves comme « je ne comprends pas pourquoi tu écris des tests, fait moins de bugs. », « fais-moi un tableau comparatif avec des couleurs qui me permet de juger quel système de base de données est plus intéressant » ou encore « On va passer votre serveur en javascript car c'est plus puissant et plus rapide ». Des décisions qui sont donc prises sur la foi d'articles dans la presse généraliste, niant l'expérience et le savoir-faire de l'équipe de dev, comme si j'étais le premier stagiaire venu.
Enfant du Futur Immédiat, je dois te faire une confession.
Entre autres crimes contre l'Humanité, je fus développeur indépendant ; j'ai alors découvert une spécificité de notre métier : c'est le client qui impose le prix de la prestation, et qui décide de la durée d'exécution de ses demandes. Ben si, j'ai eu droit aussi à ça, et évidemment, les sous-évaluations étaient homériques. Et les dépassements de temps de travail étaient alors pour ta pomme.
Alors ne vous étonnez pas que le développeur a parfois le blues. Il est parfois aussi lymphatique qu'un IDE, et se montre parfois aussi locace qu'un écran bleu.
Enfant du Futur Immédiat, nous ne t'avons jamais caché que nous avons monté notre programme CPU dans l'idée de montrer les makers de notre monde numérique. Pour une fois, parlons de ceux qui le font, parce qu'ils avaient le choix entre ça ou surveiller une centaine de tes congénères dans la cour de récré.
Rien que d'y penser, je vais me remettre un Lexomil++
2 réactions
1 De methylbro - 14/10/2016, 12:45
❤️ très belle émission.
2 De GBProd - 14/10/2016, 16:44
Super émission, merci.
Un petit lien vers un article parlant de ce sujet : http://gb-prod.fr/2016/06/12/artisa...